Anamnèse et commémoratifs
Les propriétaires rapportent trois épisodes de crises convulsives depuis la veille vers 20h. Ils décrivent des convulsions tonico-cloniques avec du ptyalisme. Chaque épisode dure environ une à deux minutes. Santiago perd totalement connaissance et ne répond plus à ses propriétaires. Entre les crises, son comportement est entièrement normal. Aucun épisode de vomissement ni de diarrhée n’est rapporté. La prise de boisson est normale et l’appétit est conservé.
Santiago a été acheté chez un éleveur deux jours auparavant. Il a reçu une première injection de primo vaccination (valences CHP) une semaine avant la consultation. Il est à jour des traitements contre les parasites internes et externes (dates et produits non communiqués).
Examen clinique
Santiago est en état d’hypovigilance et réagi peu aux stimuli. Il est normotherme à 37,9°C, les muqueuses sont rosées et collantes avec un temps de recoloration capillaire inférieur à deux secondes. Le conduit auditif droit présente une otite purulente avec un polype qui oblitère presque totalement la lumière du conduit. Le conduit auditif gauche est normal. La palpation abdominale est normale. L’auscultation cardio pulmonaire est normale avec une fréquence cardiaque de 110 battements par minute et une fréquence respiratoire de 20 mouvements par minute. Le pouls fémoral est net et concordant avec le choc précordial. Les nœuds lymphatiques périphériques sont de taille normale. Un seul testicule est palpable en position scrotale.
Pendant la consultation, Santiago a présenté des convulsions tonico-cloniques des quatre membres, avec perte de connaissance et ptyalisme. L’épisode a duré environ deux minutes. La mesure de la glycémie durant la crise a révélé une hypoglycémie à 0,51g/L.
Bilan anamnestico-clinique
Au bilan, nous retenons des crises convulsives aiguës sur un chiot mâle bouledogue français de deux mois.
Hypothèses diagnostiques
Le diagnostic différentiel des crises convulsives est vaste. On distingue principalement l’épilepsie structurelle (ou causes intracrâniennes, tableau 1), l’épilepsie réactive (ou causes extra-crâniennes, tableau 2), et l’épilepsie idiopathique.
Santiago étant un chiot de deux mois, une origine infectieuse est à considérer, en particulier la toxoplasmose. La rage est possible et d’intérêt sanitaire, mais peu probable sur un chiot non importé d’une zone d’endémie et qui n’a pas été en contact avec un animal suspect de rage. Les propriétaires ne rapportent pas d’accès à des toxiques, mais malgré cela cette hypothèse reste probable. Une anomalie congénitale est également à considérer en priorité, mais nécessitera un examen d’imagerie en trois dimensions (scanner et/ou IRM) pour être explorée. Sans commémoratif en faveur, un trauma n’est pas privilégié mais reste possible. Parmi les origines métaboliques, un shunt porto-systémique et une hypoglycémie seront les pistes à explorer en priorité. Avec une glycémie mesurée à 0,51g/L durant la crise, il restera à déterminer si celle-ci est la conséquence ou la cause des crises. Les origines inflammatoire et tumorale ne sont pas privilégiées dans un premier temps.
Tableau 1 : Principales causes d’épilepsie structurelle ou intra-crânienne :
Origine |
Maladies |
Vasculaire |
Hémorragie intracrânienne Maladie thromboembolique |
Inflammatoire |
Encéphalite granulomateuse Encéphalite nécrosante Nécrose de l’hippocampe |
Infectieuse |
Virale : Rage ; Maladie de Carré Fongique : cryptococcose Protozoaire : toxoplasmose et néosporose |
Traumatique |
Lésion traumatique |
Anomalie congénitale |
Hydrocéphalie Maladies de surcharge Lissencéphalie |
Néoplasique |
Primaire : Méningiome, Glyome, Astrocytome Métastatique : Lymphome, Hémangiosarcome, Carcinome |
Dégénérative |
Hypertension intracrânienne |
Tableau 2 : Principales causes d’épilepsie réactive ou extra-crânienne :
Origine |
Maladie |
Toxique |
Methaldéhyde Strychnine Carbamates Ethylène glycol Etc |
Métabolique |
Hypoglycémie Encéphalose hépatique Encéphalose urémique Hypoxémie cérébrale Déséquilibres hydro-électriques : Hypernatrémie, Hypocalcémie Hyperlipémie primaire Syndrome d’hyperviscosité sanguine : Hémopathie maligne, Polyglobulie, Hyperglobulinémie, Hyperlipémie |
Examens complémentaires
Afin de rechercher l’origine des crises, les causes extra crâniennes ont d’abord été explorées.
Dans un premier temps, un bilan sanguin est donc réalisé incluant une numération de formule sanguine, une analyse biochimique, un ionogramme et les gaz du sang (tableaux 3 à 6).
Tableau 3 : Résultats de la numération de formule sanguine :
Variables |
Résultat |
Unité |
Valeurs usuelles |
GB |
8,6 |
*109/L |
6-17 |
GR |
4,44 |
*1012/L |
5,5-8,5 |
Hémoglobinémie |
12 |
g/dL |
12-18 |
Hématocrite |
35 |
% |
37-55 |
VGM |
72 |
fL |
60-77 |
TCMH |
22,5 |
pg |
19,5-24,5 |
CCMH |
31,2 |
g/dL |
32-36 |
Plaquettes |
555 |
*109/L |
200-500 |
VMP |
8,8 |
fL |
5-12 |
IDR |
18,2 |
|
8-12 |
Lymphocytes |
2,6 |
*109/L |
0,6-5,1 |
Monocytes |
0,8 |
*109/L |
0,1-1,7 |
Granulocytes |
5,2 |
*109/L |
3,0-13,6 |
Tableau 4 : Résultats de l’analyse biochimique :
Analytes |
Résultat |
Unité |
Valeurs usuelles |
Créatinine |
2,1 |
mg/L |
4-14 |
Glucose |
1,4 |
g/L |
0,75-1,3 |
ALAT |
25 |
U/L |
17-78 |
PAL |
102 |
U/L |
15-85 |
Protéines Totales |
50 |
g/L |
50-72 |
Urée |
0,2 |
g/L |
0,2-0,6 |
Bilirubine totale |
1 |
mg/L |
1-5 |
Albumine |
31 |
g/L |
26-40 |
Calcium total |
126 |
mg/L |
93-121 |
Cholestérol total |
2,9 |
g/L |
1,1-3,1 |
Gamma GT |
2 |
U/l |
5-14 |
Globuline |
19 |
g/L |
|
Phosphore inorganique |
104 |
mg/L |
19-50 |
Tableau 5 : Résultats du ionogramme et du dosage des lactates :
Analytes |
Résultats |
Unités |
Valeurs usuelles |
Sodium |
142,5 |
mmol/L |
140-150 |
Potassium |
4,58 |
mmol/L |
3,6-5,8 |
Chlorures |
112,3 |
mmol/L |
116-126 |
Na/K |
31,1 |
|
|
Calcium Ionisé |
1,43 |
mmol/L |
1,10-1,40 |
Lactates |
0,6 |
mmol/L |
0,5-2 |
Tableau 6 : Résultats des gaz du sang :
Analytes |
Résultats |
Unités |
Valeurs usuelles |
pH |
7,364 |
U |
7,25-7,41 |
pCO2 |
48,9 |
mmHg |
28-50 |
pO2 |
35,3 |
mmHg |
30-50 |
HCO3- |
31,8 |
mmol/L |
16-25 |
La numération de formule sanguine est normale. Une hémopathie maligne (myélome multiple, polycythémiavera) est donc écartée à ce stade. Une origine vasculaire (hémorragie intracrânienne et maladie thromboembolique) n’est pas non plus privilégiée. Une absence de leucocytose ne plaide pas en faveur d’une origine inflammatoire aux crises (encéphalite), même si cet analyte ne permet toutefois pas de l’écarter totalement.
Concernant les résultats de la biochimie, du ionogramme et des gaz du sang, seuls les PAL, le calcium total, le calcium ionisé et le phosphore sont au dessus des valeurs usuelles. Ces résultats peuvent être expliqués par le jeune âge de l’animal en première hypothèse. L’ensemble des autres analytes sont dans les normes. Ils permettent d’exclure une hypoglycémie, un syndrome urémique, une hypoxémie, une hyperlipémie, ainsi que les déséquilibres hydro-électriques.
A la suite de ces examens, et avant de réaliser une imagerie en coupe de l’encéphale, une recherche d’une insuffisance hépatique (trahissant par exemple la présence d’un shunt porto-systémique) a été réalisée par une mesure des acides biliaires pré et post prandiaux (tableau 7). Les dosages montrent des valeurs normales, et permettent d’écarter cette hypothèse.
Tableau 7 : Résultats du dosage des acides biliaires :
Analytes |
Résultats |
Unités |
Valeurs usuelles |
Acides biliaire pré-prandial |
3,8 |
µmol/L |
<7 |
Acides biliaire post-prandial |
8,3 |
µmol/L |
<15 |
Santiago a donc été référé à un centre spécialisé en vue d’un examen IRM de l’encéphale. Celui-ci révèle une dilatation du ventricule gauche, une malformation de type Chiari et une otite moyenne à gauche (annexe).
Diagnostic
Ventriculomégalie et asymétrie ventriculaire et encéphalique prioritairement congénitale. Malformation congénitale de la fosse caudale (Chiari-like), et otite moyenne active à gauche.
Prise en charge thérapeutique et suivi
Une prise en charge chirurgicale a été proposée, par pose d’une dérivation de liquide cérébro-spinal jusque dans l’abdomen. Mais le pronostic annoncé reste réservé et le coût engendré par cette opération très élevé. Les propriétaires n’ont donc pas souhaité cette option. Un traitement anticonvulsivant avec du phénobarbital (2,5mg/kg matin et soir) a été prescrit. Cela a permis une réduction des crises à une fois par semaine. Mais Santiago est décédé deux mois après le diagnostic.
Synthèse et discussion
La malformation de Chiari est une anomalie congénitale, se traduisant par une malformation de la fosse caudale aboutissant à un engagement du cervelet dans le foramen magnum. Cela entraine un défaut d’écoulement du liquide cérébro-spinal, pouvant aboutir à la formation de cavités dans la moelle épinière, et ainsi à la naissance d’une syringomyélie. Cette affection est très documentée chez le Cavalier King Charles, certaines études suggérant une prévalence de 100% chez cette race1. Elle a également été documentée chez d’autres races telles que le bouledogue français, le chihuahua et le yorkshire terrier2. Les principaux signes cliniques décrits sont en rapport avec la douleur neurologique : syndrome vestibulaire, ataxie, crises convulsives, déficit de clignement à la menace, démangeaisons « fantômes » (sans contact avec la peau)3.
Chez Santiago, il est difficile de parler de malformation de Chiari au sens strict car seule une malformation de la fosse caudale est visualisée, sans engagement du cervelet. Une ventriculomégalie et une asymétrie ventriculaire sont également observées. Une hypothèse crédible est que ces deux anomalies soient liées : une étude suggère un lien entre la malformation de Chiari et la dilatation des ventricules, notamment en présence d’une syringomyélie4. La malformation de Chiari provoquerait un défaut de circulation du liquide cérébro-spinal, à l’origine de la ventriculomégalie observée4. La ventriculomégalie pourrait également être la conséquence d’une hydrocéphalie, et non de la malformation de la fosse caudale. Le bouledogue français est en effet une race prédisposée à l’hydrocéphalie, tout comme le chihuahua et le yorkshire terrier. De plus, chez ces races, lorsqu’une hydrocéphalie est présente, une autre anomalie congénitale est également notée, telle qu’une malformation type chiari5.
Il est remarquable de constater que les seuls signes cliniques observés chez Santiago soient les crises convulsives. Leur lien avec la malformation de Chiari reste encore discuté dans la littérature. Certains auteurs soulignent en effet que de nombreux Cavalier King Charles atteints de malformation de Chiari ne présentent aucun symptôme1. Les crises convulsives sont également rapportées chez les chiens atteints d’hydrocéphalie. Mais d’autres signes neurologiques sont alors classiquement observés: altération de la vision, déplacement en cercle, strabisme. Se pose alors la question du lien de causalité entre les anomalies visualisées à l’examen IRM et les convulsions. En effet, selon une étude, il n’y aurait pas de lien entre les anomalies anatomiques observées à l’IRM et les signes cliniques6. De plus, une publication montre une absence de lien entre la taille des ventricules et la malformation de Chiari d’une part, et les crises d’épilepsie d’autre part7. Enfin, la seule ventriculomégaliene suffit pas à démontrer une hydrocéphalie, les deux termes étant distincts. Une ventriculomégalie peut être observée chez des animaux sans signe neurologique5.
Le lien entre les crises épileptiformes et les anomalies observées à l’IRM nous a paru dans un premier temps évident. Il parait probable que les malformations de l’encéphale de Santiago soient à l’origine des crises. Toutefois, les études montrent que ce lien n’est pas aussi évident qu’il n’y parait. Les crises seraient alors la résultante d’une autre affection, que nous n’avons pas diagnostiquée. Et les anomalies visualisées à l’IRM ne constitueraient alors qu’une simple découverte fortuite.
Bibliographie
- Couturier J, Rault D, Cauzinille L. Chiari-like malformation and syringomyelia in normal cavalier King Charles spaniels:a multiple diagnostic imagingapproach. J Small Anim Pract. 2008;49:438-44Z
- Sanchis-Mora S, Pelligand L, Thomas CL, Volk HA, Abeyesinghe SM, Brodbelt DC, Church DB, Thomson PC, McGreevy PD, O'Neill DG. Dogsattendingprimary-care practice in Englandwithclinicalsigns suggestive of Chiari-like malformation/syringomyelia. Vet Rec. 2016;179:436
- Loughin CA. Chiari-like Malformation. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 2016;46:231-242
- Rusbridge C, Knowler SP, Pieterse L, McFadyen AK. Chiari-like malformation in the Griffon Bruxellois. J Small Anim Pract. 2009;50:386-93
- Estey CM. CongenitalHydrocephalus. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 2016;46:217-229
- Lu D, Lamb CR, Pfeiffer DU, Targett MP. Neurologicalsigns and results of magneticresonanceimagingin 40 cavalier King Charles spanielswith Chiari type 1-like malformations. Vet Rec. 2003;153:260-263
- Driver CJ, Chandler K, Walmsley G, Shihab N, Volk HA. The association between Chiari-like malformation, ventriculomegaly and seizures in cavalier King Charles spaniels. Vet J. 2013;195:235-237